Uckermark

"Étonnante scène d’ouverture du dernier opus de Volker Koepp que ce dialogue savoureux dans une gare ! Il y est question de la nécessité d’améliorer les horaires de la Bundesbahn et ses connexions avec les cars qui desservent l’Uckermark. Cette région, située à soixante kilomètres au nord-est de Berlin, est la plus vaste et la moins peuplée d’Allemagne.
Un vieil homme répond vivement aux questions lapidaires de Volker Koepp hors champ. Les raisons du temps passé se mêlent aux nécessités de l’époque actuelle. Le récit est lancé, qui traite de la réorganisation d’un territoire livré au chômage, à l’exode, aux mouvements d’extrême droite.
Le film interroge les mémoires et sonde les esprits. La tradition d’une agriculture de grands domaines appartenant à l’aristocratie terrienne d’avant la seconde guerre mondiale, et la réalité du début du troisième millénaire, incertain pour l’essentiel de la population, retiennent toute l’attention du réalisateur; sans oublier quarante années d’agriculture planifiée par les coopératives de production communistes. Les destins individuels et les migrations collectives composent un tableau complexe, dans lequel les aristocrates d’antan sont en passe d’occuper à nouveau une position privilégiée en se réappropriant domaines et châteaux.
Uckermark est l’histoire de la restauration de pans de l’Ancien Régime dans de superbes paysages de collines harmonieuses, de champs généreusement étalés et de villages où se dressent de sobres églises du Moyen-Âge. Si un comte et sa famille occupent une place centrale dans ce récit, il n'en reste pas moins peuplé de paysans déchus, d'ouvriers en fin de carrière, de jeunes chômeuses et d'un chef d'entreprise. Ce sont les figures nécessaires pour approfondir la compréhension de graves problèmes économiques et de mémoires meurtries par les larmes de l'histoire. Mais le pivot de Uckermark, c'est Fritz Marquardt, paysan avant d'être homme de théâtre à la solide réputation. Il évoque, raisonne, commente, à la manière d'un sage. Son intelligence aiguë fait le lit d'un désenchantement lucide, sa présence chaleureuse confère de l'épaisseur aux destins collectifs que Volker Koepp et le directeur de la photographie, Thomas Plenert, captent avec une sensibilité tout à la fois politique et poétique.
(JP - Visions du Réel)