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Audrius Stonys, les vies intérieures

Du 7 au 18 novembre 2024 - La Cinémathèque du documentaire à la Bpi, Paris

Dans le cadre de la Saison de la Lituanie en France, la Cinémathèque du documentaire à la Bpi présente l’ensemble des films documentaires du réalisateur lituanien Audrius Stonys.

Caroline Zéau, maître de conférences et docteure en cinéma, spécialiste de l’histoire et de l’esthétique du cinéma documentaire, présente le cycle :

"Dans le film Fedia. Three Minutes After the Big Bang (1999), le personnage central, un ouvrier mutique face aux questions existentielles que lui pose le réalisateur, déclare : "Ce sont les films lituaniens que j’aime avec des gens normaux, à propos de la vie et tout ça…". Trop longtemps dépossédé de son histoire, le peuple lituanien attend du cinéma qu’il lui tende le miroir qu’il mérite. Cette histoire dicte aux cinéastes baltes, "qui ont créé derrière le rideau de fer" et dont Audrius Stonys est héritier, de se méfier des discours discrédités par le régime soviétique : les paroles mentent mais il reste les images pour célébrer la transcendance du réel.

Dans Bridges of Time, le film que Stonys consacre à ses pairs, le cinéaste Ivars Seleckis lui dit : "Si tu veux accéder aux anges, tu dois affronter toutes sortes de trucs […] c’est le quotidien du documentariste". Les films de Stonys montrent les corps au travail – accoucher, créer, bouger, toucher, prendre soin, faire et refaire, vieillir – mais ne parlent que d’élévation, de rêve, de spiritualité. Ils prennent forme dans la rencontre entre la vie intérieure des personnages et la fiction du cinéaste, hors de laquelle toute entreprise documentaire est vouée à l’échec. C’est la leçon du film Alone (2001) qui met en scène une petite fille conduite par un travailleur social – le père du réalisateur – à la prison où est détenue sa mère. Dans la voiture, une caméra est installée sous les yeux de l’enfant docile et silencieuse. Un dispositif de surveillance réflexif qui souligne la vaine violence suscitée par le film : l’enfant reste indéchiffrable, refuse de parler, de boire ou de manger. Le bruit de la caméra et son omniprésence soulignent l’échec de la communication et l’artificialité de la rencontre avec la mère. La fin du film – une envolée d’oiseaux luminescents autour d’un arbre au son de O Solitude d’Henry Purcell – est une offrande faite à l’enfant en guise d’excuses. Dès lors, pour susciter la rencontre, à chaque film, Audrius Stonys écrit une "fable" : une histoire qui entremêle la réalité qu’il observe et les fantasmes que lui inspirent les personnes, la situation et le lieu.

Paradoxalement, le désir de sonder l’âme lituanienne – ou celle de la Géorgie, berceau de la chrétienté – qui traverse son œuvre, révèle le caractère impénétrable du réel et l’irréductibilité des êtres qui à maintes reprises manifestent leur indépendance par le rire, le refus de dire ou le silence. Toute velléité de portrait, toute tentative d’enquête donne lieu à un parcours sensible sans résolution. Les débuts de films sont à cet égard explicites : ils nous invitent à partager une sensation, un état du corps, à voler, à plonger, ou à respirer, mais se refusent à nous guider. Countdown (2004) entreprend le portrait en creux d’Augustinas Baltrusaitis, un réalisateur disparu de l’époque soviétique. Aucun des témoins questionnés à son sujet n’est identifié : débarrassé de toute légende, chaque visage est scruté pour ce qu’il est. La question "quel type d’homme est-ce ?" n’appelle aucune véritable réponse. De lui non plus d’ailleurs quand il apparaît, après 20 minutes de film : il fume une cigarette et s’en va, livrant la chambre vide aux images spectrales d’une petite télévision, à l’ombre projetée des arbres sur le lit défait et à nos réflexions sur la notoriété et l’oubli, et la disparition d’un monde. Le mystère de cet homme restera entier. The Bell aussi se présente comme une enquête destinée à élucider une légende populaire qui prétend que trois siècles auparavant la cloche de l’église de Plateliai aurait disparue au fond du lac gelé. Témoignages contradictoires et images d’archives se succèdent mais ce qui compte vraiment, c’est ce que les gens croient et se racontent, c’est le mythe qui donne sens à leur vie. La vérité, elle, restera enfouie au fond des eaux.

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En plus de ses 20 films programmés, Audrius Stonys donnera une masterclasse le 9 novembre 2024.

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