Des festivals verts à l'ère de l'Anthropocène : le cas italien
- Laura Cesaro
Il n'existe pas à ce jour de définition consensuelle de ce qu’est un "festival de cinéma environnemental". La littérature les désigne à la fois comme des festivals de films environnementaux, des festivals d'éco-films, des festivals de films écologiques, des festivals de films durables. Leur émergence s’est appuyée sur une demande de sensibilisation de plus en plus forte du public.
Malgré la rareté des études approfondies sur le sujet, le dialogue entre les festivals de cinéma et la durabilité environnementale est profondément enraciné. Ekofilm, le plus ancien festival consacré aux questions environnementales en Europe [1], a été fondé à Prague en 1974 en rupture avec Techfilm - Festival International de Films sur la Science, la Technologie et l’Art. Chaque année, en octobre, le festival propose en compétition des dizaines de films de fiction et documentaires provenant du monde entier et invite d’importantes personnalités tchèques et de notoriété internationale. Ladislav Miko, le président du festival est un ancien ministre de l’Environnement qui conseille désormais l’actuel ministre. Chaque année, le festival s'ouvre sur un thème environnemental spécifique, propose des conférences et des ateliers avec des experts, des discussions et des débats avec des invités et des cinéastes, un concert en soirée et d'autres évènements culturels. En se tenant à l’avant-garde des problématiques environnementales, tout en s’adressant à un large public, Ekofilm dépasse sa fonction originelle de sensibilisation pour incarner aujourd’hui pleinement un lieu éco-critique. Reconnu comme un acteur majeur sur le plan international, il constitue un espace incontournable de rencontres entre le grand public et les cinéastes, les experts et les acteurs politiques.
L'espace du festival attire non seulement l'attention sur ces films en tant qu'outils efficaces de sensibilisation et d’éducation du public aux questions environnementales, mais encourage également à adopter un point de vue éco-critique à l'égard de toutes les formes de production cinématographique, des films analysés aussi comme autant de produits culturels, fabriqués et consommés par la culture. Malgré tout, même si l'éco-cinéma vise à influencer les comportements des spectateurs en matière d'environnement, et donc à les encourager à une action individuelle et collective, l’information seule ne le garantit pas.
Évaluer l'impact réel de ces films sur les comportements se révèle une tâche complexe, et les recherches récentes en psychologie sociale et dans le domaine émergent du marketing social communautaire suggèrent que la conscience et la compréhension des problèmes environnementaux n’engendrent pas nécessairement un changement de comportement. Selon le psychologue de l'environnement Doug McKenzie-Mohr, l'efficacité de l'information à produire des changements comportementaux dépend en partie de la manière dont elle est transmise. Appréhender les enjeux narratifs et esthétiques de la transmission de l’information est essentiel pour que cette dernière atteigne efficacement le public. C’est toute la mission dont se préoccupent les festivals de films environnementaux lorsqu’ils organisent des discussions, des ateliers et des activités ludiques avec un point de vue éco-critique.
1 - Une première typologie
Les festivals verts entretiennent tous une forte dimension sociale – en mettant l’accent sur les manières de réinventer une forme de vivre ensemble, et une dimension intellectuelle en cherchant des antidotes à la standardisation, aux modes et aux opinions dominantes. Ils se déploient dans un écosystème pluridisciplinaire qui s’articule autour de multiples interconnexions avec les contextes historique, économique, touristique et culturel dans lequel émerge l’évènement. Trois tendances principales se dessinent : les festivals-marchés, les festivals de la sphère publique, et les festivals sociaux performatifs.
Des festivals-marchés
Dina Iordanova observe une forme d’industrialisation de ces festivals qui intègrent une dimension de marché dans leur fonctionnement et déplacent leur rôle traditionnel de soutien à la distribution vers le terrain du développement et de la production : "un nombre croissant de festivals capitalisent sur le fait que cinéastes, producteurs et d'autres acteurs de la profession soient réunis à l’occasion de ces évènements et cherchent à exploiter leur présence. Beaucoup [de ces] festivals proposent un forum pour favoriser les rencontres et les négociations entre entreprises et créateurs. Ils organisent aussi des événements spéciaux (sessions de pitch, bourses de développement, sessions de rencontres pour la recherche de financements complémentaires) qui favorisent les activités liées à la production dans le cadre même de leurs festivals." [2]
Aux États-Unis, le Jackson Wild Film Festival (JWFF) [3] et le Wildscreen Festival [4] constituent deux exemples de ces lieux où l'on "fait des affaires" décisives pour l'achat et la vente des films environnementaux. En réalité, l’essentiel de leur public est composé par les représentants de grandes entreprises qui influencent jusqu’aux stratégies de communication de ces "festivals équitables" : ils semblent d’ailleurs moins intéressés par l'échange d'informations que par la volonté d’en diffuser.
Le Wildscreen Festival de Bristol se décrit ainsi : "Toutes les activités de Wildscreen visent à exploiter le pouvoir du meilleur des images et des médias relatifs à la faune et à la flore sauvages afin de promouvoir une meilleure compréhension du monde naturel." [5] Le Jackson Wild Film Festival adopte une approche similaire en se définissant comme un "catalyseur pour accélérer et élever des récits à fort impact à la croisée de la nature, de la science et du climat". [6] Dès la page d’accueil du site associé, l’emploi du langage direct et la valorisation des prix mettent en évidence une rhétorique qui s’adresse à un public spécifique qui, au-delà d’une communication inclusive, peut payer les 450 dollars réclamés pour assister à l’évènement. Sans surprise, ces festivals sont en grande partie sponsorisés par des entreprises qui veillent à leurs propres intérêts.
Festivals de la sphère publique
Les festivals dits de "la sphère publique", au sens de Jürgen Habermas qui s'entend ici comme une manière d'examiner comment les citoyens ordinaires "œuvrent à contraindre l'autorité à se légitimer face à l'opinion publique" [7], se focalisent sur la représentation de ce qui est légitime d’un point de vue social et citoyen. S'ils transforment aussi la valeur symbolique en valeur économique, ils encouragent à la différence des "festivals-marchés" la participation du public par le biais de leur présence massive lors des projections, des cérémonies de remise de prix ou des débats d'experts. Ces festivals, qui ont tendance à se présenter comme des événements prestigieux attirant de grandes foules et des célébrités, reçoivent le soutien officiel des pouvoirs publics.
Même s’il existe certains festivals dont on pourrait remettre en cause le réel engagement à l’égard des notions environnementales, les festivals de cinéma les plus importants intègrent dans leur agenda des espaces dédiés à la mise en valeur des films réalisés selon des pratiques durables et qui ont fait l’objet de certification. [8] Parmi les exemples les plus notables, citons la création du Green Drop Award, décerné par Green Cross Italie à l'un des films de la sélection officielle du Festival international du film de Venise qui incarne le mieux "les valeurs de l'écologie et du développement durable, avec une attention particulière à la préservation de la planète et de ses écosystèmes pour les générations futures, aux modes de vie et à la coopération entre les peuples." [9] Parmi les diverses initiatives d'éducation et d'information sur la transition écologique, Green Cross promeut également une section compétitive "Screen in Green" en collaboration avec le ministère de la Transition écologique, la Sardegna Film Commission et Premio Solinas. L'objectif de ce projet est de promouvoir de nouveaux contenus et d’accroître la sensibilisation à l'environnement dans les productions cinématographiques et télévisuelles grâce à la créativité de jeunes talents âgés de 18 à 30 ans.
Festivals sociaux performatifs
Comme le suggère Julian Stringer, les festivals thématiques ont souvent pour objectif d’attirer à la fois le public le plus large possible et une minorité plus spécialisée. Depuis la seconde moitié des années 1990, ils se distinguent par une nature communautaire et une dimension socioculturelle. Ces festivals, en particulier au cours de la dernière décennie, ont été les principaux promoteurs d'un processus étendu et continu qui a pour but de mobiliser ouvertement leur public à travers ce que Salma Monani appelle "des soulèvements de rue" [10], c’est-à-dire des formes tangibles d’action environnementale. Ainsi, ce type de festival propose des outils d'éducation socioculturelle à travers une réflexion critique partagée dans une perspective culturaliste. Ils encouragent également le dialogue sur l'environnement dans des contextes plus intimistes : des projections associées à des séminaires, des ateliers, des tables rondes et des événements festifs.
En tant qu’évènement à la fois officiel et alternatif, ce type de festivals souligne la nature démocratique de la participation du public. Les spectateurs sont notamment encouragés à interagir avec les organisateurs du festival et avec les cinéastes dans des contextes qui favorisent le dialogue. Ces espaces ne sont pas de simples forums qui visent à divertir, mais ils sont structurés de manière à rassembler les communautés autour d'une cause commune. In fine, chacun adopte une posture environnementale. Les principes défendus ne sont pas uniquement liés à la consommation d'énergie, mais aussi à la mobilité (visiter et se déplacer dans la ville avec des moyens de transport à faible impact), au merchandising, au recyclage des matériaux et à la durabilité alimentaire.
C'est le cas, par exemple, du Finger Lakes Environmental Film Festival (FLEFF). Il s'agit d'un festival annuel multi-arts, interdisciplinaire et transmédia qui se tient à Ithaca (New York, États-Unis) et qui présente depuis 1997 des projets globaux dédiés aux questions de développement durable. La chercheuse Salma Monani explique que l'objectif du FLEFF est d’installer le festival comme un lien entre la recherche universitaire et les nouveaux médias, comme une plateforme de plus pour interroger la durabilité sous toutes ses formes : économique, sociale, écologique, politique, culturelle, technologique et esthétique. À travers des films, des vidéos, des installations, des performances, des tables rondes, des présentations et les nouveaux médias, le festival engage des débats entre les médias et les domaines de recherche. Chaque année, il accueille un grand nombre d'artistes nationaux et transnationaux et présente l'Ithaca College comme un centre régional et national où l'on réfléchit différemment - avec de nouvelles méthodes, interfaces et formes - à l'environnement et à la durabilité.
2 - Le "Green Film Network"
L’agenda international est trop vaste pour garantir le référencement complet de tous les festivals de films environnementaux actifs. Cependant, au fil des ans, il y a eu des tentatives de créer des plateformes numériques à même d’être les vitrines de ces échanges – auxquelles manque la composante majeure que sont les petits festivals (en fonction du budget, de l'audience, du vedettariat). Mais il existe une caractéristique commune à la structure de ces plateformes numériques : ces réseaux cherchent à promouvoir les initiatives et les dispositifs actifs à l'échelle mondiale. Leur contenu est principalement destiné aux cinéastes ou aux distributeurs, plutôt qu'au public.
Actif de 1999 à 2011, la première tentative sommaire de création d’un espace en ligne pour ce type de festival a été l'Environmental Film Festival Network (EFFN) [11], qui recensait les liens vers une vingtaine de festivals de films à travers le monde. Ce blog fonctionnait comme une véritable pépinière : il offrait à chaque festival un espace dédié et un profil qui lui était propre, les informations publiées à la demande et sur recommandation du festival lui-même, outre le titre et le lien vers le site officiel du festival, une brève description et, dans certains cas, l'ouverture de l'appel à candidatures. D’autres tentatives similaires existent, au résultat moins fructueux : par exemple, EcoIQ, qui est resté à l’état de blog, et EcoFootage, le premier à disposer d'une véritable architecture de base de données, fondé en 2006 mais aujourd’hui inactif.
La plateforme la plus répandue est probablement le Green Film Network, une initiative récente avec une portée mondiale : en 2012, à Turin dans le cadre du festival CinemAmbiente [12], 39 directeurs de festivals de films consacrés à l'environnement ont signé pour former une organisation internationale visant à promouvoir l'échange, la communication et la collaboration sur les questions environnementales par le biais du cinéma. L'adhésion au Green Film Network est ouverte à tout festival de films sur l'environnement qui respecte les principes et les pratiques reconnus par l'agence, qui peuvent être résumés en trois points :
- promouvoir les produits audiovisuels à caractère écologique et environnemental et encourager les initiatives de sauvegarde de l'environnement naturel, social et culturel ;
- diffuser et promouvoir la production artistique et culturelle internationale, notamment cinématographique, par le biais de manifestations, de débats, de publications, d'apparitions télévisées ;
- réaliser des événements et des activités audiovisuelles contribuant à l'essor d'une culture consciente des rapports entre l'homme et la nature, ainsi que des environnements sociaux et culturels.
La plupart des festivals mentionnés jusque-là semblent évoquer des catégories relevant à la fois de la sphère publique et des événements performatifs, mais sans faire de distinction entre les deux au niveau de leurs intentions ou de leurs pratiques. Ces réseaux ont un caractère opérationnel et travaillent pour établir des orientations communes, comme par exemple celles préconisées par l'Agenda 2030 pour le Développement Durable : la lutte contre la pauvreté, l'éradication de la faim et la lutte contre le changement climatique, pour n'en citer que quelques-unes.
3 - Le cas italien : le protocole vert des festivals
Au cours de la dernière décennie, l’organisation des festivals italiens s’est largement concentrée sur la spatialité des événements culturels, c’est-à-dire sur la relation entre les territoires, les flux touristiques et les populations impliquées dans une perspective de durabilité. Conformément aux pratiques adoptées à travers l'Europe, la législation récente a conduit à la signature du Green Festival Guide (2022), un protocole qui exhorte les festivals italiens à se concentrer sur l'impact des pratiques de distribution cinématographique et télévisuelle à chaque étape : organisation, promotion et communication, réalisation et activités post-projection.
Ce guide du festival vert ne définit pas des pratiques mais formalise (à la différence de la production, par exemple) celles qui sont déjà largement adoptées. Laura Zumiani, représentante du festival du film de Trente et membre du conseil d'administration de l’Association des festivals de cinéma italiens (AFIC), explique ainsi l’élaboration de ce protocole : "le travail a commencé par une cartographie de ce qui existe en Italie et des bonnes pratiques d’ores et déjà existantes. Nous nous sommes basés sur les spécifications écologiques des évènements du festival de Trente combinées à certains outils internationaux pour créer un guide pratique et opérationnel, avec des conseils répartis par thématique, mais également pour poser les bases du Protocole, sur lequel nous travaillons en collaboration avec les ministères concernés et en association avec tous les festivals." [13]
Outre le cas du festival de Trente, d'autres directeurs de festivals travaillent depuis des années à l’organisation d’événements sociaux et durables sur le plan environnemental. Sous la coordination et la supervision de Laura Zumiani, neuf festivals associés ont participé. [14] En observant la composition de ce groupe de travail, il convient de noter la décision d'établir un dialogue entre les festivals dits de la sphère publique et les événements performatifs, c’est-à-dire de véritables dispositifs de durabilité sociale avant d'être environnementale. En prévision du prochain protocole, l'AFIC a défini dix thématiques, et pas exclusivement en termes d’énergies consommées. [15] Ces paramètres sont regroupés ici dans les trois catégories établies précédemment : 1) social (matériel promotionnel, mise en place, durabilité sociale, gestion des invités) ; 2) intellectuel (formation et communication, production de gadgets, mobilité durable) ; et 3) environnemental (énergie et consommation durable, durabilité alimentaire, culture environnementale, gestion des déchets).
Une cartographie initiale des résultats, basée sur 47 festivals ayant adhéré aux orientations du protocole, montre une évolution positive des pratiques à partir de septembre 2022. Si l’on s’attarde en particulier sur les données relatives à la section "formation et communication" [16], sachant que 2022 est la première année pratiquement complète après les restrictions imposées par le Covid, l'implication du public a donné d'excellents résultats : 65% en moyenne ont affirmé non seulement avoir réussi à mettre en œuvre des initiatives d'éducation à l'environnement impliquant les participants, mais aussi avoir élaboré un plan de communication durable, démontrant l’efficacité des stratégies de l'activisme responsable. La réaction des festivals qui n'ont pas l’environnement pour thème principal mais qui souhaitent quand même s’engager (deuxième catégorie) est encore faible en termes 1) de lancement de tutorat et/ou de mentorat avec des festivals plus expérimentés (32%), et 2) de proposition de formation à l'environnement pour le personnel engagé et bénévole (32%).
4 - Loin du greenwashing : l’exemple d’Euganea
Le festival du film Euganea, signataire du protocole et membre de ce groupe de travail, est un cas exceptionnel en Italie. Il constitue un réseau de durabilité sociale et d'inclusion culturelle par ses engagements pour la mobilité (visiter et se déplacer dans la ville en utilisant des moyens à faible impact), le merchandising (social, création de cartes partagées pour découvrir le territoire), et même pour la durabilité alimentaire (avec des produits "zéro kilomètre"). C’est un exemple probant, qui répond à la plupart des dix orientations de l'AFIC, et qui permet de donner un horizon au festival vert.
Le festival Euganea est le porte-drapeau des activités menées par l'Euganea Movie Movement, une association fondée en 2005 qui opère dans la région de la Vénétie pour promouvoir les cultures cinématographiques italiennes et étrangères à travers l'organisation d'événements, de cours, de revues et de spectacles, en mettant l'accent sur les productions régionales. Le festival du film, qui se déroule dans la région des collines volcaniques euganéennes pendant l'été, propose une sélection annuelle de plus de cinquante films (des documentaires et courts métrages variés sur le thème de l’éco-durabilité). Les films sont présentés dans des cadres remarquables tels que des parcs, des villas et des châteaux, et sont accompagnés d'événements spéciaux (des concerts, des ateliers, des rencontres avec des auteurs et des pièces de théâtre). Euganea Movie Movement collabore avec divers acteurs de la scène culturelle cinématographique internationale et travaille avec un réseau dense d'organisations, de municipalités, d'institutions et d'associations dans la province de Padoue et dans la région de la Vénétie. L’association oriente ses activités vers un dialogue entre le cinéma et la culture régionale : elle choisit de redonner vie à des espaces et des environnements qui deviennent par exemple de splendides cinémas en plein air. Elle propose donc un format culturel unique qui combine une offre de films en compétition de haut niveau avec la promotion du territoire.
En 2021, avec la collaboration de WOWNature, le Festival du film Euganea a soutenu la zone Bosco Fontaniva de la rivière Brenta en permettant le renforcement de sa biodiversité et en améliorant l'irrigation des écosystèmes des habitats fluviaux, des zones humides et des zones agricoles du site Natura 2000. Pour l'édition 2022, le festival, avec le soutien du Crédit Agricole Friuladria, poursuit sur la voie de la responsabilité environnementale en renouvelant l'initiative Euganea Film Festival Climate Positive, qui génère un impact positif par l’amélioration de la qualité environnementale du territoire. À cette fin, le festival prévoit de planter de nouveaux arbres dans la zone du parc de la rivière Brenta (d'une longueur d'environ 50 km), qui s'étend de Bassano del Grappa, dans la province de Vicence, à Padoue, et s'engage à protéger la forêt du fleuve Pô.
En protégeant les forêts existantes, les organisateurs cherchent à réduire à zéro les émissions de CO2 du festival ; toutefois, ils ont également l'intention de planter des arbres là où ils sont le plus nécessaires, contribuant ainsi à réduire l'impact de la crise climatique. Le Festival du film d'Euganea a développé une autre initiative pour minimiser son impact sur le climat : le Solar Cinema, une camionnette équipée d'un système photovoltaïque qui réduit les émissions qu'une projection normale de film engendre inévitablement. Le Solar Cinema est à la fois un outil de connaissances écologiques et de diffusion du cinéma. Depuis le début, la promotion du tourisme et du territoire a un impact de plus en plus international grâce à des initiatives originales et pionnières : le festival a ouvert un point vélo pour rejoindre des lieux d’ordinaire peu visités où les projections se déroulent pendant le festival. Cette pratique, initiée en collaboration avec une agence de tourisme locale, permet aux cinéastes, aux producteurs et aux spectateurs du monde entier de découvrir les collines euganéennes et Berici pendant le festival du film.
Dans la continuité de cette initiative, une application web de cyclotourisme a été créée, Euganea Film Tour, un projet de tourisme cinématographique pour faire découvrir et visiter de manière indépendante, ou par le biais de visites guidées, des lieux de production cinématographique et télévisuelle. L’application web associe l'étude des productions audiovisuelles à l'exploration du territoire des collines, en proposant des itinéraires de tourisme cinématographique qui offrent une analyse détaillée des lieux de tournage en association avec les sites et monuments remarquables de la région. L'utilisateur de l'application web peut donc accéder au territoire de deux manières.
La première, c’est l’exploration qui consiste à découvrir un lieu à travers trois approches différentes : d'un point de vue historique par le biais de l'histoire de la ville (fig.1) ; d'un point de vue touristique, en visitant les monuments, les lieux de culte, les points d'intérêt (fig.2), et d'un point de vue cinématographique : à travers un film dont la critique propose à la fois une description détaillée, un synopsis et, surtout, une partie consacrée à la relation entre le film et le territoire (fig.3). Ainsi, chaque séquence de film tournée dans un lieu spécifique a fait l'objet d'un travail de recensement et de géoréférencement. Ce processus a permis de mettre en œuvre des expériences de valorisation du patrimoine ayant des retombées positives pour le territoire.
Fig. 1-3. Quelques captures d’écran de l'application web "Euganea Film Tour".
La deuxième façon d'accéder au territoire, développée en dialogue avec une agence de tourisme locale, est la construction de quatre circuits liés au cinéma. Ces visites ont été incluses dans l'application web afin d'offrir aux utilisateurs des expériences ludiques, renforçant ainsi potentiellement la relation entre le cinéma et le territoire à plusieurs niveaux.
Le dialogue entre les images visibles dans les films et les séries télévisées, d'une part, et les panoramas naturels du parc régional des Collines Euganéennes, d'autre part, permet au visiteur de réfléchir aux changements que la zone a subis. Ces vingt dernières années, le paysage a été particulièrement marqué par l'urbanisation progressive du parc, la destruction de la flore et la disparition progressive de diverses espèces animales qui ont migré et/ou se sont éteintes. Le festival, tout en offrant un cadre alternatif aux événements habituels, se fait le défenseur d'une conception écologique de l'expérience, qui concerne également les sphères sociales et mentales de la durabilité.
Laura Cesaro
Cet article a été publié en version anglaise dans la revue Cinergie – Il cinema e le altre arti. N.22 (2022), 83–96.
Traduction et adaptation par film-documentaire.fr.
Cet article est publié dans la revue TRAVERSES #3.
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Laura Cesaro est professeure adjointe à l'université d'Udine. Ses recherches traitent de l'impact des régimes scopiques engendrés par les nouvelles technologies sur les esthétiques, les pratiques et les imaginaires contemporains. Elle concentre ses recherches sur les perspectives visuelles liées à la cartographie des terres, y compris leurs applications dans la promotion des sites culturels et dans les différentes formes de valorisation. Elle est l'autrice de l’ouvrage Geografie del controllo nella scena audiovisiva contemporanea (Bulzoni, 2022).
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Notes :
[1] Depuis 2015, le festival se tient à Brno (République Tchèque) et est organisé conjointement par une agence de publicité (Key Promotion), l'Université Masaryk et l’agence pour l’emploi écologique EkoInkubátor.
[2] Iordanova, Dina, "The Film Festival as an Industry Node", Media Industries Journal, 2015, 8
[3] Fondé en 1991, Jackson Wild est un festival du film basé à Jackson Hole, dans l'État du Wyoming. Le festival se tient chaque année en septembre et comprend des tables rondes, des projections de films, des ateliers et des opportunités de mise en réseau. Il convient également de mentionner le Jackson Lake Lodge, qui se tient généralement dans le parc national de Grand Teton, une conférence internationale pour les professionnels du cinéma d'histoire naturelle et de l'industrie des médias, ainsi que les Jackson Wild Media Awards, qui récompensent l'excellence dans le domaine du cinéma d'histoire naturelle.
[4] Le festival Wildscreen a été organisé pour la première fois en 1982, à Bristol, au Royaume-Uni. Une organisation de femmes dirigeantes dotée d'une équipe dynamique met chaque année en relation les cinéastes créatifs de l'industrie du cinéma, de la télévision et de la photographie avec des écologistes afin de sensibiliser à la crise environnementale et de susciter des changements positifs.︎
[5] Site du Wildscreen Festival (consulté en novembre 2022)
[6] Site du Jackson Wild Festival (consulté en novembre 2022)
[7] La théorie de la sphère publique a été appliquée avec succès à d'autres types de festivals cinématographiques par des chercheurs tels que Julian Stringer, Derek Ros et Soyoung Kim, car les festivals cinématographiques se présentent souvent comme des espaces de rencontre permettant d'élargir les sphères d'engagement démocratique et public.︎
[8] Comme le souligne, entre autres, Pietari Kääpä (2013), à l'échelle internationale, il existe des certifications, des protocoles et des systèmes d'évaluation : ils permettent aux sociétés de production audiovisuelle de certifier qu'une œuvre audiovisuelle donnée a été produite d'une manière respectueuse de l'environnement et durable. Des actions doivent être mises en œuvre dans les domaines suivants : organisation des activités, utilisation des ressources, gestion des déchets, consommation d'énergie et émissions atmosphériques.
[9] Green Drop Award (consulté en novembre 2022)
[10] Monani, Salma, "Environmental Film Festivals: Beginning Explorations at the Intersections of Film Festival Studies and Ecocritical Studies", in Ecocinema Theory and Practice, edited by Stephen Rust, Salma Monani and Sean Cubitt, New York: Routledge, 2013, 267
[11] Le blog n'a pas été mis à jour depuis 2013, mais il est toujours visible.
[12] Turin accueille le festival annuel du film vert CinemAmbiente depuis 1998. Il a été créé dans le but de promouvoir les meilleurs films et documentaires sur l'environnement au niveau international et de contribuer, par des activités organisées tout au long de l'année, à la promotion du cinéma et de la culture environnementale. Fondé par Gaetano Capizzi, le festival est organisé par l'association CinemAmbiente en collaboration avec le Musée national du cinéma. CinemAmbiente est l'un des cofondateurs du Green Film Network.︎
[13] Op. cit.
[14] Le groupe de travail sur les festivals verts était composé de Monica Goti (Trieste Film Festival), Marco Trevisan (Euganea Film Festival), Raffaella Canci (Trieste Science + Fiction Festival), Luca Elmi (FCP - Porretta Film Festival), Gaetano Capizzi (CinemAmbiente), Renato Cremonesi (Lessinia Film Festival), Riccardo Volpe (Biografilm Festival), Rocco Calandriello (Lucania Film Festival) et Sheila Melosu (Siciliambiente Film Festival). Le festival du film de Trieste est un événement cinématographique qui se tient chaque année en janvier. L'objectif principal du festival est d'encourager l'information, la discussion et la coopération mutuelle entre ceux qui travaillent dans le domaine de la production audiovisuelle. Le festival du film Euganea est un festival du film environnemental qui se tient chaque année en juin. Le festival se tient à Monselice (Padoue). L'objectif principal du Festival Science + Fiction de Trieste est de présenter et de promouvoir des œuvres cinématographiques et audiovisuelles de science-fiction et de fantaisie. CinemAmbiente est le premier festival du film environnemental en Italie. Il a été lancé à Turin en 1998 dans le but de présenter les meilleurs films et documentaires internationaux sur l'environnement, avec des activités se déroulant tout au long de l'année. Le festival Lessinia est dédié à la production de matériel multimédia sur la vie et l'histoire des peuples de montagne. Le festival Biografilm - International Celebration of Lives est un festival du film qui se tient en juin à Bologne et qui est consacré aux biographies. Le Lucania Film Festival se tient chaque année à Pisticci - Matera depuis 1999. Siciliambiente est un festival international du film lié aux thèmes de l'environnement, de la durabilité et des droits de l'homme. Il a lieu chaque année en juillet à San Vito Lo Capo, dans le nord de la Sicile.
[15] AFIC (consulté en novembre 2022).︎
[16] Une lecture complète du rapport est disponible sur le lien suivant. (consulté en novembre 2022)