Reviens et prends-moi

Entre la Syrie et Paris, l'Orient, mythique mais quotidien, ordinaire mais littéraire, respire d'amour.
Sur le poème de Constantin Cavafy :
Reviens souvent et prends-moi, sensation bien-aimée…
Un film d’amour sans amoureux.
...la nuit à l’heure où les lèvres et la peau se souviennent.

"Cavafy est mon poète de chevet depuis plus de vingt ans. Je l’ai utilisé dans plusieurs de mes films. Il y a des citations de lui dans Paris, mon petit corps…, des bouts de phrases introduites dans le courant les dialogues. Il y a plusieurs des poèmes d’amour de Cavafy que je connais par cœur et qui m’accompagnent tous les jours. Marguerite Yourcenar, dont j’ai repris la traduction, les appelle les "poèmes érotiques". La sensualité des poésies de Cavafy m’a semblée adéquate à la sensualité des rues et des gens de Damas et d’Alep. L’association des deux m’a tout de suite parue évidente. Le poème dit "reviens souvent et prends moi sensation bien-aimée". Il y a quelque chose qui a disparu et qui pourtant est présent, c’est du "passé présent", c’est exactement ce que j’ai ressenti dans ces deux villes de Syrie. Contrairement à l’Occident, où l’on est obsédé par l’actuel, où il n’y a que du présent, en Orient, l’histoire et le passé sont toujours présents. Et puis le choix du poème, c’est aussi parce que le film était une déclaration d’amour à quelqu’un. J’ai essayé de faire quelque chose où le désir soit tangible, où on l’éprouve. Pas le désir d’une seule personne, un désir qui n’est pas fixé sur un seul objet, mais qui vous envahi et qui vous prend."
(Extrait d’un entretien avec Franssou Prenant réalisé par Sylvain Maestraggi - Revue Images de la culture n°21, mai 2006, p.66-67)

"Dans une ville du Moyen-Orient, des charrettes disparaissent sous les voûtes d’un souk, l’ombre d’un cycliste se dessine sur les pavés, un cafetier attend le client, des femmes voilées se glissent dans la rue. Et, dans une chambre bien close, un jeune homme offre sa peau nue aux baisers du soleil. Reviens et prends-moi, sur un poème de Cavafy lu en voix off, propose une élégie sensuelle, nourrie d’images d’un Orient mythique.
Se définissant lui-même comme un "poème d’amour sans amoureux", le film de Franssou Prenant, tourné en Super-8, explore les mirages de l’ombre et de la lumière, de l’eau et de la pierre, du dedans et du dehors. À l’extérieur voué au commerce et à la vitesse s’oppose l’intérieur voué à l’attente infinie ; au flux bruyant de la fontaine s’oppose la sueur lente entre les épaules. Né et mort à Alexandrie, Constantin Cavafy (1863-1933) est à la fois le poète d’une Grèce éternelle et celui d’un Orient sensuel offrant à la dérobée les plaisirs furtifs des amours masculines. C’est de cette poésie à double fond que se nourrit ce poème visuel qui fait entendre d’une manière originale un des textes les plus connus : "Reviens. Reviens souvent et prends-moi / Sensation aimée, reviens et prends-moi / Quand s’éveille la mémoire du corps / Qu’un désir ancien retraverse le sang / Quand les lèvres et la peau se souviennent, / Que les mains sont comme si elles touchaient de nouveau..."
(Eva Ségal)