Tod Browning, le jeu des illusions

Auteur d'un bon documentaire sur Jacques Tourneur, le chevronné Alain Mazars aborde ici Tod Browning. Habilement construit en flash-back, son film s'ouvre sur Dracula (1931), évoque les dernières créations du cinéaste américain, avant de revenir à ses mélos horrifiques muets et terminer en apothéose avec Freaks (1932). Mazars tourne dans un beau noir et blanc et positionne ses intervenants devant les images des œuvres commentées, jusqu'à en faire des personnages de Bowning. La forme est remarquable, la qualité du casting aussi. Critiques, historiens et écrivains se succèdent, dont Jean-Claude Carrière et Jean-Claude Romer, qui a contribué à la réhabilitation du metteur en scène dans les années 1960. Ensemble, ils passent au crible ses obsessions (travestissement, illusion, monstruosité) et racontent sa fructueuse collaboration avec Lon Chaney. Grâce à "l'homme aux mille visages", Bowning imagine des scénarios d'une renversante modernité, plus déments les uns que les autres : un gang de voleurs de bijoux composé d'un ventriloque travesti, d'un nain méchant et d'un colosse bas du front (Le Club des trois, 1925); un faux manchot qui lance des couteuax avec les pieds (L'Inconnu, 1927); et des vampires dans Londres après minuit (1927), film disparu dont le culte a été entretenu par le bouche-à-oreille. De quoi alimenter le mythe, selon l'expression de Carrière, de cette "étoile noire" du cinéma.
(Nicolas Didier)