Chantal Akerman - Œuvre écrite et parlée
Cyril Béghin, Éditions L'Arachnéen, 2024
Cyril Béghin a rassemblé en deux volumes l'intégralité de l'œuvre écrite et parlée de Chantal Akerman, qui comprend des scénarios, des synopsis, des notes d'intention, des textes pour les voix off de ses films, une pièce de théâtre, des entretiens, entre autres. Un troisième volume est consacré à l'édition critique.
Les Éditions L’Arachnéen présentent l'ouvrage :
"Entre son premier court métrage, Saute ma ville (1968), et No Home Movie (2015), Chantal Akerman (1950-2015) a réalisé plus de 40 films. Le retentissement de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080, Bruxelles, chef-d’œuvre de près de 4 heures qu’elle tourne à l’âge de 25 ans avec Delphine Seyrig, lui assure une notoriété immédiate. Le rôle que les femmes occupent dans son œuvre lui vaut d’être identifiée comme une cinéaste féministe, adjectif qu’elle accueillait volontiers mais avec réserve, comme toute espèce d’assignation. Chantal Akerman est également la première cinéaste, dès les années 1990, à investir les lieux de l’art contemporain : ses installations continuent d’être exposées dans les galeries et musées du monde entier.
Son œuvre cinématographique se double d’une importante œuvre écrite, que nous publions dans sa quasi-intégralité et dont nous avons confié l’organisation à Cyril Béghin. Cette somme de près de 1600 pages se présente sous la forme de trois volumes réunis dans un coffret : deux volumes chronologiques (1968-1991 et 1991-2015), consacrés strictement aux textes d’Akerman, et un troisième qui rassemble l’édition critique. Ce parti pris vise à laisser se développer l’écriture de la cinéaste avec ses articulations et son rythme propres, sans intervention extérieure. Les textes des deux "volumes Akerman" comprennent des scénarios, des synopsis, des notes d’intention, des textes pour les voix off de ses films, mais également des entretiens, des documents de travail, tous pour l’essentiel inédits. Ils incluent également quatre livres publiés du vivant d’Akerman : une pièce de théâtre, Hall de nuit (1992), deux récits, Une famille à Bruxelles (1998) et Ma mère rit (2013), et une autobiographie, "Le frigidaire est vide. On peut le remplir" (dans Autoportrait en cinéaste, 2004).
Œuvre écrite et parlée, le titre de l’ensemble, donne toute sa place au rôle de la voix et de la parole dans l’écriture d’Akerman. Par leur rythme, leur ponctuation, la liberté de leur syntaxe, leur adresse comme "à la cantonade", par le "ressassement " qu’elle invoque elle-même comme une manie et un principe constructif, ses textes portent la marque de sa voix (imprimée en cyan dans le livre), et de l’absolue modernité de son œuvre. Les deux premiers volumes s’accompagnent d’une importante iconographie, composée de photographies de repérage ou de tournage, de documents d’archives, de fac-similés, et de photogrammes de films inédits. Le troisième volume se présente sans image, et dans une mise en page différente.
La parution d’Œuvre écrite et parlée coïncide avec de nombreux événements consacrés à Chantal Akerman : une exposition anthologique à BOZAR (Bruxelles) et la rétrospective de ses films organisée par la Cinematek de Belgique à partir de mars 2024 ; la reprise, en septembre 2024, de l’exposition à la Galerie nationale du Jeu de Paume, à Paris, qu’accompagneront une rétrospective et l’édition intégrale de ses films par Capricci. Parmi d’autres…"
Extrait de la présentation de Cyril Béguin :
"Pourquoi faire un livre, quand on écrit ? En 1974, dans Je tu il elle, son premier long métrage, Chantal Akerman joue elle-même une jeune femme qui, d’abord enfermée seule dans une maison, y passe de longues journées à écrire des lettres sur des feuilles dispersées. L’un des plans séquences du film la montre aligner ces pages en plusieurs rangées par terre et en punaiser quelques-unes sur le parquet avant de s’allonger sur un matelas derrière elle. Voilà composé un livre minimal et expérimental, où l’écrit inégalement fixé forme un sol à partir duquel il est possible de partir, comme la jeune femme va le faire bientôt. "[…] j’ai punaisé consciencieusement chaque page sur le sol, j’ai eu un tapis où mes pieds aimaient se frotter." Il faut donc que la lettre soit figée pour qu’un départ soit possible. "Et je suis partie" sont les premières paroles dites off dans le film, et les premiers mots du texte qui lui a servi de scénario.
Pourquoi faire un livre, quand on écrit ? Chez Chantal Akerman, il semble que ce qui est écrit peut aussi bien se dire, s’envoyer, se perdre, devenir un film, se projeter, se jouer, et tant d’autres possibilités encore. Mais le livre n’entrerait dans cette grande variation qu’à une sorte de condition tacite et contradictoire, qui le rapprocherait du cinéma. Au détour d’un bref paragraphe du dernier récit publié par Akerman, Ma mère rit, la narratrice raconte comment, après avoir lu des livres, elle les pose "à l’arrêt de bus pour que quelqu’un d’autre les lise. […] Et les livres disparaissaient ", de même que le regard ne retient pas un film, dans le moment même où il le partage avec d’autres regards. C’est toujours autre chose que l’on retient. "Je me suis dit un jour que je devrais me poster en face de l’arrêt de bus pour voir qui prenait les livres, qui s’intéressait à ces livres mais je ne l’ai jamais fait."
Pas de possession ni de bibliothèque, aucune résidence stable du texte. La disparition à l’arrêt de bus esquisse l’imagination d’une circulation ouverte et anonyme, d’une échappée sans retour. Il y a là sans doute une morale générale : les œuvres ne se capitalisent pas. Pourtant le livre aurait un privilège. Est-ce qu’en s’y fixant l’écrit ne se libère pas, est-ce qu’il n’entrerait pas ainsi dans une forme de nomadisme symbolique, aussi triviales et fragiles en soient les apparences ? En un raccourci fulgurant, l’anecdote de Ma mère rit rappelle des intuitions plus complexes qu’Akerman exprime pour la première fois en 1998 dans un projet de documentaire sur le Moyen-Orient : " la terre qu’on traverse et qu’on ne prend pas fait penser au livre". Elle le répète dans un entretien de 2011 : "le livre peut être une terre sans sang ". Ces formules, qui empruntent à Edmond Jabès et à Maurice Blanchot, renvoient à l’histoire et à la culture du "peuple du Livre" dont Akerman, de famille juive polonaise, était issue : "j’ai plus d’admiration quand même pour les écrivains [que pour les cinéastes], mais bon c’est sans doute lié à la fois à des choses d’enfance, et à la fois, bien que je ne sois pas religieuse, quelque chose qui est lié à ça, puisqu’il y a le premier Livre, enfin, il y a la Bible". L’idée est aussi élémentaire qu’hermétique : les livres n’appartiennent à personne. Ou bien, dans les termes de l’exégèse juive, "l’histoire du livre est l’histoire de son effacement. […] Effacement particulier qui n’est pas nécessairement effacement du texte puisque – paradoxe – cet effacement a lieu par l’ajout de paroles, de textes supplémentaires. Il y a plutôt effacement de la maîtrise du discours, de la violence portée par le discours." Ainsi le livre peut-il être une terre qu’on traverse et qu’on ne prend pas. […]"
Œuvre écrite et parlée est publié par les Éditions L’Arachnéen, en partenariat avec la Fondation Chantal Akerman / Cinematek, et avec le soutien du Centre national du livre, du Centre national du cinéma et de l’image animée, de la Région Île-de-France et de Radio France.
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Du 28 juin au 7 juillet 2024, le Fema (Festival La Rochelle Cinéma) présentera une rétrospective de près de 20 longs métrages de Chantal Akerman en copies restaurées, de son premier documentaire tourné à New York, Hôtel Monterey, à son dernier, No Home Movie, sur sa mère, d’une famille juive qui a fui la Pologne en 1938. L’occasion de parcourir sa filmographie protéiforme, entre fiction et documentaire, en passant par l’installation (D’Est) ou la comédie musicale (Golden Eighties), de flâner dans la nuit bruxelloise (Toute une nuit) ou l’effervescence berlinoise (Les Rendez-vous d’Anna).
Cyril Béghin écrit sur le cinéma pour des revues, catalogues et ouvrages collectifs. Il a été rédacteur aux Cahiers du cinéma de 2004 à 2020 et membre de son comité de rédaction de 2009 à 2020. Il a dirigé l’édition des Dialogues de Marguerite Duras et Jean-Luc Godard (Post-éditions, 2014) et de Notes de la forteresse de Robert Kramer (Post-éditions, 2019). Il a codirigé de 2003 à 2013 les ouvrages monographiques édités par le Magic Cinéma (Bobigny), et notamment celui consacré à Chantal Akerman, à propos de laquelle il a publié de nombreux textes et entretiens dans des revues et des catalogues.
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